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Centenaire de l'archevêché des églises Orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

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Les Vitiaz

L'organisation Nationale des Vitiaz (officiellement « Association des Vitiaz » dans les pays francophones) était à l'origine la « confrérie (en russe "droujina") des Vitiaz » – la section éducative pour enfants et adolescents de l'Action Chrétienne des Etudiants Russes. Nicolas Feodorovitch Feodoroff, né en 1895 dans la banlieue de Saint-Pétersbourg (décédé à Paris en 1984), étudiant en ingénierie ferroviaire, jeune soldat démobilisé en Estonie après la guerre civile, avait commencé à rassembler des enfants réfugiés souvent extrêmement pauvres et désœuvrés, parfois devenus des enfants des rues, selon les méthodes du scoutisme au sein de l’Union de la Jeunesse Chrétienne dont il devint le président. En 1926, il fut invité par l'ONG Young Men's Christian Association (YMCA) à diriger sa branche russe, dont le siège se trouvait à Paris. Rapidement, la YMCA réalisa la fusion de cette branche avec l'Action Chrétienne des Etudiants Russes. Avec sa femme Irène (fille d'Edmund Jung, un ingénieur belge et de son épouse russe) Nicolas Feodoroff, toujours inspiré des méthodes scoutes, développa alors au sein de l'ACER un réseau d'éducateurs animant des cellules éducatives – la « droujina des Vitiaz », section éducative pour enfants et adolescents de l' ACER. Filles et garçons des groupes d'enfants et d'adolescents étaient souvent regroupés dans des activités communes (quotidiennement dans les camps d'été), ce qui, surtout grâce à Irène Feodoroff et à ses monitrices, constitue une des premières expériences de mixité dans l'histoire de l'éducation. La différence avec le scoutisme était une insistance sur l'éducation orthodoxe et une vie ecclésiale intense, trait caractéristique de l'ACER que conserveront les Vitiaz, lorsqu'ils deviendront une organisation indépendante.

Malgré les succès, les rapports se détériorèrent entre les Feodoroff et la direction de l'ACER. Alors que les grands intellectuels de l'ACER débattaient – au sein de la section « étudiants » – d'une nouvelle vision de l'Orthodoxie qui dépassait de plus en plus le cadre russe pour devenir universelle, Feodoroff et un très grand nombre de ses animateurs voyaient leur projet pédagogique comme une préparation à un travail missionnaire dans une Russie future, mission, certes, religieuse, mais inséparable d'une réapprentissage des autres fondements de l'identité russe – la langue, la littérature, les arts, le folklore et les traditions. L'histoire devait être enseignée dans un esprit patriotique et les traditions militaires étaient à l'honneur, ce qui irritait nombre de personnalités de l'ACER encore attachés aux idéaux de la révolution de Février 1917. En 1934 près de la moitié des membres de la droujina des Vitiaz se détacha de l'ACER pour former l’ « Organisation Nationale des Vitiaz » (officiellement « Association des Vitiaz » pour les autorités francophones). La même année fut inauguré son camp de vacances estivales au bord du lac de Laffrey sur les hauteurs méridionales de Grenoble (un camp en activité tous les étés jusqu’à ce jour, sauf entre 1940 et 1946). D'autres camps furent organisés de par l'Europe.

Comme l'ACER, les Vitiaz furent décimés en Europe centrale et orientale par le nazisme puis l'occupation soviétique. En France, cependant, l’organisation, bien qu'interdite sous l'occupation allemande (comme toutes les organisations de jeunesse considérées comme incompatibles avec les mouvements fascistes), opéra semi-clandestinement sous le couvert d'une organisation charitable gérant un centre d'évacuation pour familles fuyant les bombardements à Toury, au Sud de l'Ile de France (en réalité, un véritable camp des Vitiaz qui dura des années durant, en hiver comme en été, sous des tentes, accueillant jusqu’à 300 enfants et adolescents ). Des personnes recherchées par les forces d'occupation y furent même hébergées discrètement par les Feodoroff. André Schmemann, futur successeur de Feodoroff à la tête des Vitiaz, frère jumeau du futur père Alexandre, avec lequel il avait assisté en tant qu'acolyte Mgr. Euloge aux offices de la cathédrale de la Rue Daru, fut un des responsables les plus longtemps en activité à Toury. Il y forma toute une nouvelle génération de moniteurs, dont ses camarades de la cathédrale, auteurs d'un vade-mecum de l'acolyte, Boris Kochko et Igor Kobtzeff (réfractaire au Service du Travail Obligatoire se cachant au camp). Après la guerre, les Vitiaz se reconstituèrent en France avec cette nouvelle génération, puis, avec de nouveaux immigrés, en Belgique (Bruxelles et Mons), en Argentine et en Australie. Dès 1991, des groupes de Vitiaz se constituèrent et se multiplièrent en Russie, depuis Saint-Pétersbourg jusqu'en Sibérie.

L'Association des Vitiaz fait intimement partie de l'histoire de l’Archevêché. D'une part, le mouvement s'était attaché à ne pas choisir de camp entre les juridictions. Au cours de toute son histoire, l’Association des Vitiaz avait tenu à servir d’espace de rassemblement pour les chrétiens orthodoxes russes de toutes les juridictions et ne prendre aucune position dans le conflit entre l’Archevêché, la métropole d’Amérique (future Orthodox Church of America) et l’Église Russe Hors-Frontières. Sans le juger ni prendre aucune position officielle contre le patriarcat de Moscou, l’association refusait cependant d’entretenir des contacts avec lui, tant que sa hiérarchie était forcée de nier officiellement les persécutions dont elle était victime, mais des liens forts se tissèrent rapidement à l’époque de la Perestroïka. Cette politique assumée d’« œcuménisme » inter-juridictionnelle permit des rencontres au sommet et des concélébrations – exceptionnellement rares dans l'histoire de la diaspora – entre les hiérarques de l'Archevêché et ceux de l’Église Russe Hors-Frontières, comme par exemple lors de la consécration de la chapelle Saint-Alexandre-Nevsky, Saint Olga et Saint Vladimir du camp de Laffrey en 1961.

Célébration de la fête Saint Vladimir au camp des Vitiaz à Laffrey : 1ère partie

Célébration de la fête Saint Vladimir au camp des Vitiaz à Laffrey : 2ème partie

Célébration de la fête Saint Vladimir au camp des Vitiaz à Laffrey : 3ème partie

Mais la raison la plus simple des attaches entres les Vitiaz et l’Archevêché est qu'en France – centre névralgique et historique du mouvement – les paroisses attachées à ce dernier sont grandement majoritaires, ce qui fait de la majorité des familles des Vitiaz des paroissiens de l'Archevêché. Ainsi, il y eut des personnalités exerçant les plus hautes fonctions à la fois dans ce diocèse et dans l'association des Vitiaz : il faut citer avant tout Anton Kartachev, qui, sans rompre avec l’ACER, soutint l’organisation des Vitiaz et fut le fondateur, en 1935, de la section des œuvres sociales. « Vitiaz d’honneur » comme Kartachev, Pierre Kovalevsky, historien de renom qui avait enseigné à l'Institut Saint-Serge dans sa jeunesse et fut le doyen-fondateur de la fraternité Saint-Alexandre-Nevsky des sous-diacres et acolytes de la cathédrale, anima de nombreuses réunions des Vitiaz pendant des décennies. Autre personnalité célèbre dans le domaine des arts et des lettres, Dmitri Stelletsky l'iconographe ayant couvert d'icônes l'église sur la colline Saint Serge, était lui aussi un membre d'honneur de l'association des Vitiaz. Il a peint pour eux de très nombreuses icônes et passait régulièrement ses étés dans leur camp à Laffrey dans les années 1930. Nous avons déjà mentionné André Schmemann qui occupa des postes importants au conseil de l'Archevêché avec son ami le prince Serge Obolensky, également membre de la direction de l’Association des Vitiaz. Parmi les autres présidents de l'association, on compte André Feodoroff, fils de Nicolas et Irène, l'architecte qui construisit non seulement la chapelle de Laffrey, mais aussi la nouvelle église Saint-Séraphim-de-Sarov de la rue Lecourbe, Vladimir Delaroff, soutien indéfectible de la paroisse d'Asnières, Nathalie Schmemann, fille d’André, agent littéraire d’Alexandre Solzhenitsyne et secrétaire de l'Institut Saint-Serge ainsi qu’animatrice pendant de longues années de la vie culturelle de ses étudiants, Serge Runge, membre du conseil diocésain et du conseil paroissial de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky. Igor Kobtzeff, déjà mentionné, succéda à Kovalevsky à la tête de la confrérie des sous-diacres et acolytes de la cathédrale ; il cumula également un siège au conseil paroissial de la cathédrale et la présidence de la section française de l'association des Vitiaz, ainsi que son fils Oleg, lecteur à la cathédrale puis à la paroisse Saint-Seraphim-de-Sarov avant d’enseigner à l'Institut Saint-Serge. Parmi les nombreux prêtres et évêques actifs au sein des Vitiaz, il faut souligner le rôle du père Alexandre Semenoff-Tian-Chansky qui, futur évêque, fut aumônier du camp de Laffrey pendant plusieurs années après la guerre, de l'archimandrite Job (Nikitine) qui lui succéda au début des années 1960 et qui fut l'aumônier de toute l'organisation pendant des décennies, invitant les Vitiaz à organiser un camp annuel à la période de Pâques dans son ermitage de Mourmelon près de Reims, enfin, du futur archevêque Serge (Konovaloff), qui, comme parent, manifesta un soutien appuyé au mouvement dont faisait partie ses enfants, (l'aîné, Vladimir, deviendra président de la section de l’Association des Vitiaz en Belgique) puis fut, lui aussi, aumônier à Laffrey.

Mais surtout, l'organisation des Vitiaz, par son projet pédagogique et ses méthodes (réunions systématiques dans les locaux des paroisses – Rue Daru, Boulevard Exelmans, Rue Lecourbe, Asnières, la cathédrale de Nice, et même, depuis peu, Rue Olivier-de-Serres, « fief » de l’ACER – avec rendez-vous le matin aux offices, vie de prière au camp au moins deux fois par jour à la chapelle et prière avant et après chaque repas, en plus des liturgies fréquentes, cours de chant liturgique, de pratique liturgique pour acolytes, catéchèse) comme l‘ACER, entretenait la vie religieuse des familles pratiquantes et y initiait les familles moins pratiquantes. Pour ces dernières, l'apprentissage de l'histoire, de la géographie, du folklore, de tout l'héritage russe et même des traditions militaires, servait souvent d'accroche pour attirer des jeunes et leurs parents dans un milieu pratiquant l’ecclésialisation de la vie. C'est ainsi que d'innombrables Vitiaz devinrent chanteurs, acolytes, lecteurs, chefs de chœur, où simples paroissiens indispensables à la vie de leur communauté. Certains devinrent diacres et prêtres. Mgr. Elisée (Germain) dans son discours d’investiture, racontant son évolution personnelle, illustra précisément ce type de parcours depuis son enfance au camp de Laffrey, où il découvrit déjà sa vocation, jusqu’ à sa consécration épiscopale, en passant par toutes les activités des Vitiaz et sa formation – par plusieurs Vitiaz – auprès de l'autel dans le rang des acolytes et sous-diacres de la cathédrale. Pour ce nouvel évêque les expériences au sein des Vitiaz et au sein de l'église, en particulier au sein de l’Archevêché, étaient devenus complètement indissociables.

En compétition dans leur course à servir au mieux la cause de leur devise restée commune après 1934 – « Pour la Russie et pour la Foi » – l'Action Chrétienne des Etudiants Russes et l'Organisation des Vitiaz doivent être vues comme complémentaires plutôt qu’adversaires. La plupart de leurs membres ont toujours entretenu des rapports de proche amitié allant jusqu'aux mariages. Les frères jumeaux Alexandre et André Schmemann, chacun président respectivement de l'ACER et les Vitiaz symbolisent cette complémentarité. Mgr. Alexandre Semenoff-Tian-Chansky aimait comparer les deux organisations à deux régiments de la Garde Impériale russe, rivalisant d'exploits sur le champ de bataille mais afin d’atteindre des victoires pour la même cause. L’Archevêché inspira en grande partie cette compétition et en fut récompensé.