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Archiprêtre Léonide Chrol
Le père Léonide Chrol
© Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale
Léonide Chrol naquit à Saint-Pétersbourg, le 11 août 1902. Son père était Trophime Chrol, et sa mère, Parascève, née Biélov. Léonide avait deux sœurs : Antonina et Olga. Antonina mourut jeune, tandis qu'Olga partagea la vie de Léonide. Trophime Chrol occupait un poste important dans la Direction de la Monnaie, à Saint-Pétersbourg.
Pendant toute sa vie, Léonide aura une santé fragile, assortie d'une très grande sensibilité. Il est très doué pour la musique : à douze ans, en 1914, il donne des concerts de piano, en présence des soldats blessés sur le front de Prusse. Il compose des pièces musicales qui font l'admiration de son entourage. En 1910, il entra au «gymnase». Pendant tout le cursus de ses études, il est premier de classe, et ce dans toutes les matières.
Les événements de 1917 mettent fin aux études de Léonide. Il a quinze ans. Sa famille est évacuée sur le Don. La famille Chrol s'établit provisoirement dans la «stanitza» Kaminskaya, et Léonide reprend ses études. Trophime trouve un nouveau poste: il est engagé pour la réorganisation de la Monnaie , à Novotcherkask, une ville du Caucase. Toute la famille y déménage. Mais l'Armée Rouge progresse. L'Administration se replie sur Novorosiisk, une ville située sur les rives de la Mer Noire, non loin de Ekaterinodar. En 1920, la famille Chrol quitte définitivement la Russie, à bord de l'un des tout derniers bâtiments qui parviennent à appareiller avant l'ultime invasion communiste. C'est la fin d'un monde. Léonide est alors un jeune homme de dix-huit ans.
Léonide fut ordonné diacre le 9 décembre 1934, et accéda à la prêtrise le 16 décembre suivant. Désormais, nous parlerons du « Père Léonide » : la soutane et la croix pectorale feront partie de sa silhouette bien reconnaissable.
Mgr. Euloge envoie immédiatement le Père Léonide à Toulouse. Cette paroisse fondée en 1928, qui couvrait tout le Sud-Ouest de la France, avait la réputation d'être « la plus difficile de France» suivant les mots mêmes du Métropolite Euloge... Trois prêtres y étaient passés : le Père Nicolas Soukhikh, le Père Vladimir Aïsov, et le Père Hilarion Titov. Tous trois éprouvèrent de grandes difficultés pastorales. Après que le Père Hilarion eût déclaré forfait, la paroisse fut transmise au Père Soukhikh qui mourut peu après. Mgr. Euloge ajoute ce commentaire : « il était incontestable que le surmenage dû aux déplacements continuels avait usé sa santé ». Cela donne une idée du défi qui était proposé au recteur de l'église orthodoxe.
Le Père Léonide devient officiellement recteur de la paroisse de Montauban en 1941, au début de la guerre. Le Père Postavsky éprouva des difficultés dans ses relations avec la difficile paroisse de Toulouse. Comme nous le voyons dans le document ci-joint, le Père Léonide fut surveillé par le Gouvernement de Vichy probablement suite à une dénonciation calomnieuse.
Cette lettre, datée de 1941, nous apprend que le Père Léonide était soupçonné de faire du recrutement parmi les émigrés russes, afin qu'ils s'enrôlent dans les troupes soviétiques ! La lettre rétablit la réalité des faits, en montrant que l'activité du Père Léonide n'était pas d'ordre politique.
Le 19 août 1944, deux mille « Mongols » arrivèrent par la route de Paris et établirent leurs quartiers dans la caserne Pomponne à Montauban. Ces soldats étaient en réalité des Tchétchènes et des Ingouches qui étaient passés de l’Armée rouge à la Wehrmacht avec l’armée Vlassov. Un grand nombre de prisonniers de guerre soviétiques avaient été enrôlés dans cette armée. L’inquiétude de la population était d’autant plus vive qu’un accrochage entre ces troupes et des jeunes résistants montalbanais avait fait dix-sept victimes parmi ces derniers. Les soldats tiraillaient et ferraillaient dans le centre-ville. Plusieurs résistants furent pendus. La situation était extrêmement tendue.
Ces soldats fortement armés n’étaient plus ravitaillés. Ils ne parlaient pas un mot de français. La préfecture s’adressa au Père Léonide, craignant qu’un incident grave ne survienne entre les soldats et la population. Le Père Léonide partit sans hésiter. Sa connaissance de la langue russe et allemande était précieuse en de telles circonstances. Habillé d’une soutane blanche et le drapeau blanc à la main, il commença de difficiles négociations, en russe, avec ces hommes frustes et inquiets. Il obtint d’eux une forme d’armistice, ce qui sauva certainement la ville de Montauban de ce qui aurait pu être une catastrophe. Il faut se rappeler que la 2ème division SS « Das Reich » a été cantonnée à Montauban ; elle commit de nombreux massacres et exactions lors de sa progression du Midi de la France vers la Normandie. L’inquiétude de la population montalbanaise était amplement justifiée.
Vingt ans plus tard, en 1964, la municipalité de Montauban reconnaissante mit à la disposition du Père Léonide – pour le reste de sa vie - une grande maison qui avait appartenu au pasteur Charles Westphal - Pasteur de l’Église réformée de France, qui fut un ardent protagoniste de l’œcuménisme naissant (1896 – 1972). Cette maison était située au Pont-de-Chaume. Le Père Léonide y vécut avec sa sœur Olga. En 1957, le Prince Alexis Kropotkine s’était joint à eux. Fidèle entre les fidèles, il fut « l’ombre » du Père Léonide, et l’accompagnait partout. Une église dédiée à l’icône de N.D. du Prompt-Secours fut aménagée dans l’ancienne serre de la grande maison du Pont-de-Chaume. Dans cette maison, le Père Léonide improvisait ou jouait ses œuvres musicales sur un vieux piano plus ou moins désaccordé, se laissant parfois entraîner en une véritable transe. Il y réalisait aussi des œuvres d’« art brut », faites de pièces hétéroclites (des objets d’usage courant, des pièces de monnaie…), assemblées suivant une logique dont il gardait le secret.
Photos du père Léonide Chrol
Au départ de cette maison qui était généreusement ouverte à tous, le Père Léonide rayonnait dans la région. Il avait constitué une « église mobile » : le Prince Alexis Kropotkine conduisait leur 2 CV, et à son bord prenaient place le Père Léonide et sa sœur Olga, qui lui servait de chantre. Il est intéressant de noter que cette 2CV fut offerte au Père Léonide par l’Archevêque catholique-romain d’Albi (il s’agit très probablement de Mgr. Jean-Joseph Moussaron, qui fut Archevêque d’Albi de 1940 à 1956. Avec ce véhicule, le Père Léonide, sa sœur Olga et le Prince Alexis Kropotkine pouvaient ainsi célébrer les Offices dans les coins les plus reculés du Sud-Ouest de la France, dès qu’ils étaient appelés auprès d’un malade ou d’un mourant - à moins qu’une famille ait eu besoin de la célébration d’un baptême ou d’un mariage. Pendant un demi-siècle, il sillonna les routes de la région, avec sa haute taille voûtée, ses longs cheveux et sa barbe, ainsi que sa soutane allongeant encore sa silhouette.
Mgr. Jacques de Saint-Blanquat, évêque catholique romain de Montauban à l’époque, parle en ces termes du Père Léonide : « le pope habitait Montauban avec son chauffeur. (…) C’était un philosophe haut en couleurs. Il avait écrit un livre intitulé « Alpha et Oméga » assez abscons, mais sans doute très profond. Il était musicien, peintre. Il vivait avec sa sœur qui avait une grande qualité de cœur et son chauffeur, un authentique prince russe (…). Bref, un trio des plus pittoresque et charmant, très attachant! »
Dans les années 50, la paroisse de Toulouse fit appel au Père Léonide, et celui-ci vint y célébrer épisodiquement. Il fallut attendre 1971 pour qu'il soit finalement nommé recteur de cette paroisse. À partir de ce moment, sa sollicitude pastorale s'étendit sur neuf départements du Sud-Ouest de la France - jusqu'à Perpignan - et ce, jusqu'à son décès.
Pendant l’été 1980, la maladie atteignit le Père Léonide et l’immobilisa. Il avait brusquement perdu l’usage de ses jambes. Au début du mois de novembre 1982, le Père Léonide communia pour la dernière fois sur cette terre. Ensuite, il fut jour et nuit en prière, jusqu’à ce qu’il perdit connaissance, le dimanche 21 novembre, une semaine avant son décès. En ce jour, un prêtre - le Père Jean Baïkoff - récita à son chevet la longue et émouvante prière des agonisants. Avant de mourir, le Père Chrol resta quarante jours sans s’alimenter. Dans les tout derniers temps, il ne put même plus accepter aucun liquide. Finalement, pendant quelques jours, il avait été mis sous perfusion, mais cela n’avait apporté qu’un bref soulagement, auquel il avait fallu renoncer.
Quelques instants avant de quitter ce monde, il fit signe à son fidèle compagnon Alexis Kropotkine de s’approcher, et lui dit à voix à peine audible :
- « si tu pouvais voir, si tu pouvais voir… »
- « Quoi, Père ? »
- il leva les yeux au ciel : « comme c’est beau ! »
C’était le dimanche 28 novembre 1982, à 19 heures, en son domicile de Pont-de-Chaume, près de Montauban. Les funérailles furent célébrées le mercredi 1er décembre 1982, dans la chapelle de N.D. du Prompt secours, adjacente à la maison de feu le Père Léonide. Elles furent célébrées par l’Archevêque Georges Wagner, concélébrant avec le Père Eugène Czapiuk et le Père Jean Baïkov. Mgr. Jacques de Saint-Blanquat, évêque catholique romain de Montauban, et plusieurs prêtres de son diocèse étaient également présents lors de la célébration. Parmi eux se trouvait le Père Guy Lourmande, qui était alors le "Délégué Régional à l'Oecuménisme". La présence du Pasteur Alain KUSNER (E.R.F.) du Temple de Montauban, fut aussi remarquée. L’église ne suffit pas à contenir la très nombreuse assistance de ceux qui étaient venus rendre un dernier hommage au Père Léonide : bien des personnes durent assister à l’Office liturgique de l’extérieur, devant les portes ouvertes, dans le froid vif de ce jour d’hiver. Une très longue file de voitures se forma pour accompagner la dépouille du Père Léonide jusqu’au Vieux Cimetière de Montauban. Sa tombe est surmontée d’une grande croix de chêne.
La maison que le Père Léonide occupait n’existe plus ; elle disparut sous le pic des démolisseurs, pour laisser le passage à la bretelle d’une autoroute. Par contre, Montauban perpétua la mémoire du Père Léonide Chrol en donnant son nom à une avenue qui prolonge le boulevard Herriot vers la rocade Sud-Est de la ville.