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Centenaire de l'archevêché des églises Orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

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Sainte Marie de Paris (Skobtsov)

La jeunesse

Mère marie

Auteur inconnu, photo domaine public

Mère Marie est caractéristique du renouveau spirituel et religieux qu'a connu la Russie au début du 20e siècle. Bien qu'issue d'une famille de l'aristocratie, elle était, par conviction, socialiste révolutionnaire. Elle se maria très jeune avec un intellectuel socialiste, puis ils se séparèrent. À ce moment-là est survenue la révolution russe et elle émigra avec son second mari, Skobtsov. Il avait été son juge lors de son arrestation par les armées blanches, qui lui reprochaient d'avoir collaboré avec les bolcheviks. Skobtsov faisait partie de l'Armée blanche, et ils durent donc s'exiler lorsque celle-ci a été vaincue par l'Armée rouge. Ils quittèrent donc la Russie et, via Constantinople, arrivèrent à Paris. Ils eurent alors trois enfants, Gaïana, Youri, et Anastasie.

Elisabeth Pilenko (qui deviendra plus tard Mère Marie) avait perdu la foi dans son adolescence, à la mort précoce de son père, qu'elle avait ressentie comme une injustice. Or, si Dieu n'est pas juste, il ne peut exister. Elle ne croyait plus en Dieu, mais continuait à s'intéresser à la théologie. Grâce aux relations de sa famille avec l'aristocratie russe, elle avait pu faire des études de théologie par correspondance.

La perte de sa dernière fille fut un choc terrible. La mort de son enfant lui est apparue comme un appel à commencer une vie nouvelle, plus pure, consacrée à Dieu.

À travers ce grand deuil, elle se sentit appelée à faire une œuvre qu'on peut appeler caritative, ou philanthropique. Elle ressentit la nécessité d'une consécration ecclésiastique pour ce nouveau ministère, et souhaita devenir religieuse. Son mari admit cela, et ils se séparèrent. Cet homme eut une attitude très respectueuse de sa liberté, comprenant qu'elle pouvait se sentir appelée, et ils restèrent toujours amis.

Elisabeth Skobtsov (qui allait devenir mère Marie) en 1926

Photo famille Lebedeff

C'est plutôt l'Église et les orthodoxes qui avaient du mal à accepter qu'une femme mariée deux fois puisse entrer dans la vie religieuse. Elle prononça ses vœux et reçut le nom de Marie, en souvenir de Marie l'Égyptienne, grande pécheresse devenue sainte.

Mesdames Tamara Klépinine et Elisabeth Behr-Siegel partagent dans l'entretien ci-dessous leurs souvenir concernant l'action sociale de celle qui allait devenir mère Marie.

Une maison ouverte, dans une époque apocalyptique

Elle devint donc religieuse dans cette Église de l'émigration russe, traversée alors par un courant évangélique. Mère Marie se sentit appelée à se donner entièrement aux plus pauvres. Sans argent, mais grâce à toutes sortes d'amis, en particulier des amitiés œcuméniques, elle put acheter une maison, d'abord villa de Saxe, dans le 7e arrondissement de Paris, puis rue de Lourmel, dans le 15e. Cette maison ne peut pas vraiment être appelée un monastère, parce qu'elle accueillait toutes sortes de gens : des sans-abri, des clochards, d'anciennes prostituées que mère Marie cherchait à tirer de la prostitution, des malades envoyés dans des hôpitaux psychiatriques parce que personne ne comprenait leur langue. En même temps, elle pouvait recevoir des chœurs catholiques de passage à Paris.

C'était une maison très ouverte, qui s'éloignait du modèle de monachisme orthodoxe. Celui-ci est traditionnellement un monachisme cloîtré. Mais mère Marie pensait que les temps avaient changé, etqu'elle appartenait à une autre époque, une époque apocalyptique, dans laquelle il fallait aller jusqu'à sacrifier son confort spirituel. L'essentiel était de venir aux gens, de les aider, deles aimer, d'être des témoins de l'amour sans limites dont parle le moine de l'Église d'Orient, le père Lev Gillet.

On oublie souvent de citer l'influence très importante qu'a eue sur mère Marie celui qui signait ses livres "un moine de l'Église d'Orient". Ce moine a été un des premiers à vivre dans cette maison et à y célébrer les offices. Et cet amour sans limite envers les plus pauvres se manifestait dans les actes de mère Marie : elle allait entre autres sur les marchés des Halles, et récupérait ce qu'il restait aux marchands. Elle visitait aussi les clochards dans les bistrots autour des Halles, et parfois les ramenait chez elle.

L'église de Lourmel a été fermé dans les années 70. Nombre d'objets religieux, comme la croix ci-dessus ainsi que des habits religieux brodés par mère marie, se trouvent aujourd'hui dans l'église Saint Séraphin de Sarov rue Lecourbe dans le 15ème arrondissement.

L'activisme et la déportation

Cette femme exceptionnelle n'a pas hésité à protéger des juifs durant la deuxième guerre mondiale. Mère Marie avait un ami juif, Élie Fondaminsky, qui s'était fait baptiser après avoir été arrêté et transféré en camp de concentration. À ce moment-là, mère Marie se sentit appelée à venir au secours des juifs. Elle les accueillit dans sa maison, et le prêtre qui avait remplacé alors le moine de l'Église d'Orient leur délivrait des faux certificats de baptême, pour leur permettre de passer en zone libre.

Les juifs savaient que mère Marie était résistante. Lors de la rafle du Vél'd'hiv', j'ai été contactée par un ami juif pour venir au secours d'une mère juive et de sa fille prises dans la rafle, et mère Marie réussit à les sauver. Jusqu'en 1943, mère Marie pu ainsi aider les juifs. Ce qu'elle faisait n'était pas toujours compris des orthodoxes, et on dit même qu'elle fut trahie par quelqu'un de sa maison. La Gestapo est venue arrêter son fils, Youri, ainsi que Théodore Pianov, qui était son secrétaire, et le prêtre, le père Dimitri Klépinine. On lui fit savoir que si elle venait à la Gestapo, on les libérerait. Mère Marie s'y rendit, et fut arrêtée elle aussi pour être déportée au camp de Ravensbrück, où elle finit ses jours.

"Mon bûcher brûlera ici, sur une terre étrangère"

Beaucoup de témoignages sur mère Marie ont été rapportés du camp de concentration, et notamment celui de Geneviève Anthonioz-de Gaulle. Elle rappelait son courage, et ces moments où, le soir, tout le monde se rassemblait autour de son grabat, où elle redonnait force à toutes les déportées qui étaient là. Mère Marie continuait elle-même de broder. C'était une femme extrêmement habile, à la fois peintre, poète, et, dans le camp, elle continua de broder ou de peindre des icônes. Finalement, elle fut atteinte de dysenterie, et transportée dans ce qu'on appelait les "camps de jeunesse", terme ironique pour désigner ce lieu où étaient envoyés les malades incurables. On ignore les circonstances exactes de sa fin. Geneviève Anthonioz-de Gaulle pense qu'elle s'est éteinte d'épuisement, dans une très grande solitude.

D'autres disent qu'elle a pris la place d'une jeune déportée condamnée à la chambre à gaz. Quoi qu'il en soit réellement, il reste évident qu'elle avait donné sa vie.

Ses poèmes parlent de ce don, comme celui-ci, composé lorsqu'elle était encore à Paris:

Je sais, le bûcher s'allumera,

Mon bûcher brûlera, Cantique de mes sœurs,

Paisible battement des cloches

Au Kremlin, sur la place des exécutions

Ou bien ici, sur une terre étrangère.

Partout où pèse la piété.

Elle avait aussi écrit le poème suivant

Voici l'âme élevée en sa solitude essentielle

Seulement toi et moi,

Ta lumière, mon péché.

Me voici parvenue à ma limite

Ton soleil point à l'Orient.

Ces écrits témoignent donc que mère Marie s'endormit tout à fait apaisée dans la mort.

Renoncer au confort spirituel pour s'ouvrir aux plus pauvres

En somme, on peut penser d'un certain point de vue que sa vie a été un complet échec : elle est morte, ses enfants sont morts. Cependant, elle joue dans l'émigration russe un rôle important. Elle commence aujourd'hui à être découverte aux États-Unis, notamment par un livre récent (Michael Plekon, Living Icons, Persons of Faith in the Eastern Church, University of Notre Dame Press, Notre Dame, Indiana) où un chapitre est consacré à sa vie ("Maria Skobtsova: Woman of Many Faces, Motherin Many Ways". Un de ses amis raconte son rêve, dans lequel il la voit dans un champ de blé. Il lui cria : "Mère Marie, mais on m'a dit que vous étiez morte !", et elle répondit : "Oh,les gens disent tant de choses. Vous voyez bien que je suis vivante".

Ainsi, le souvenir de cette femme reste très fort pour ceux qui l'ont vu vivre. Elle est reconnue comme juste chez les juifs, et à ce titre un arbre a été planté à sa mémoire. Son tempérament est aussi un de ses traits marquants : c'était une femme moderne, c'était une religieuse qui fumait, c'était une femme forte. Parmi ceux qui l'ont appréciée, il faut rappeler combien le métropolite Euloge l'a reconnue et l'a protégée. Quand certains orthodoxes traditionnels la critiquaient, il lui fit confiance, et il lui avait donné le droit de prêcher à la fin des liturgies quand elle allait en province. Ainsi, quand elle venait en Lorraine pour visiter les Russes dispersés là pour travailler dans les mines et les aciéries, elle assistait à la liturgie, et, à la fin, prononçait l'homélie.

Elle écrivait son journal, elle écrivait des articles, et on voit par ces gestes qu'elle espérait une sorte de mutation du monachisme. Cela peut être exagéré dans la mesure où le monachisme traditionnel a toujours sa place. Mais mère Marie pensait que les moines devaient renoncer à leur confort spirituel, qu'il leur fallait ouvrir les portes aux plus pauvres, apprendre non à chercher la beauté des chants et la fumée de l'encens, mais d'abord à ouvrir les portes. C'était en quelque sorte une diaconesse, comme on en parle à nouveau de nos jours, dans l'Église orthodoxe ainsi que dans l'Église catholique. Mais cette idée se heurte encore à l'immobilisme. Une des grandes difficultés de l'Église orthodoxe est en effet cette tendance à considérer que la Tradition est une répétition du passé, alors qu'elle est la transmission vivante de la vérité, transmission vivante de la foi.

La canonisation

La canonisation de mère Marie a été faite à Paris le 11 février 2004 par le Conseil diocésain de l’archevêché des Églises orthodoxes russes en Europe occidentale, présidé par Son éminence l’archevêque Gabriel (de Vyder). La fête commune des nouveaux canonisés est le 20 juillet.

Une rue mère Marie-Skobtsov dans le 15e arrondissement de Paris

La rue Marie-Skobtsov est une voie publique qui débute au 84-88, rue de Lourmel et se termine en impasse, en forme de boucle, juste en face du n° 77 où Mère Marie avait installé son foyer d’accueil. Pour Philippe Goujon, maire du 15ème arrondissement, cette rue au nom de Mère Marie (située à deux pas de la rue de Lourmel) était logique et surtout indispensable. Le conseil municipal du 15e arrondissement vote la dénomination « rue Marie Skobtsov » le 4 novembre 2013, suivi par le Conseil de Paris à l'unanimité le 12 novembre, délibération n°2013 DU 313-1.La rue est inaugurée le 31 mars 2016, en présence de l'ambassadeur de Russie en France Alexandre Orlov.

« Mère Marie voulait que sa foi soit un témoignage vécu dans la pratique, confiait, en 2004 au journal La Croix, la théologienne orthodoxe Élisabeth Behr-Sigel. Mère Marie a eu le sentiment qu’il lui fallait tout donner et se donner elle-même entièrement. Il y a là, pour nous aujourd’hui, un appel à l’absolu authentique. Au fond, elle est restée jusqu’au bout socialiste-révolutionnaire. L’appel à la sainteté de Dieu passe, chez elle, par une aspiration à la justice sociale profonde. »

Quelques poèmes de mère Marie